Au moment où j’écris ces mots, le monde vit une situation totalement inédite. Après avoir connu des crises économique, financière, écologique, sociale, une crise sanitaire sans précédent vient nous avertir et accélérer notre prise de conscience. Une chose est sûre, quelle que soit l’issue de cette pandémie, rien ne sera plus comme avant.
L’impermanence, une pause imposée
Alors que chacun vaquait tranquillement à ses occupations en suivant d’un coin de l’écran l’évolution de l’épidémie de coronavirus qui touchait de plein fouet nos voisins Italiens. Lundi 16 mars à 20h, notre Président Emmanuel Macron, annonce des mesures drastiques de confinement sur l’ensemble du territoire national. Une injonction à la fois nécessaire et violente, de devoir stopper dans un délai extrêmement bref, l’ensemble de nos activités professionnelles, sportives, sociales, culturelles, sans savoir à quel moment nous pourrions les reprendre.
En quelques heures, nous sommes confrontés individuellement et collectivement à vivre l’expérience de l’impermanence. Notre vie basée sur la productivité, la consommation et la proximité fait place au vide de notre espace-temps et à l’isolement. L’impermanence, ce concept clé du bouddhisme, nous rappelle que chaque chose est en constante mutation et en perpétuel changement. Que rien ne dure ni ne perdure en ce monde.
En dehors des personnels soignants qui sont en première ligne face à l’épidémie et des personnes dont l’activité est maintenue afin d’assurer la logistique du pays, tout à coup nous sommes tous à l’arrêt ! Nos rendez-vous sont annulés, nos projets sont reportés, nos habitudes sont changées, nos priorités sont bouleversées, nos repères s’effondrent et nous sommes dans l’incapacité de nous projeter dans l’avenir.
En fait, cette pause imposée est une opportunité qui nous oblige à prendre conscience :
- De la futilité de beaucoup de nos occupations habituelles.
- De notre besoin de remplir notre agenda et d’être débordé afin d’avoir le sentiment d’exister.
- De notre difficulté à changer notre rapport au temps.
- De notre incapacité à accepter un moment de vacuité sans culpabiliser. C’est-à-dire un moment sans activité, pour réfléchir, faire une pause, contempler, méditer, …
- De la nécessité de nous recentrer sur l’essentiel sur le plan personnel et professionnel, c’est-à-dire sur notre relation à nous-même et aux autres.
Bien sûr, certains tentent d’échapper à cette invitation à l’introspection :
- En poursuivant leur activité comme si rien n’avait changé. Une sorte de déni qui les conduit d’ailleurs parfois à ne pas respecter les règles du confinement, ce qui amène les autorités à accentuer les restrictions de circulation.
- En se créant à tout prix de nouvelles occupations afin d’essayer de combler l’espace laissé par la situation. Et ainsi, avoir à nouveau le sentiment de maîtriser le temps et de pouvoir échapper à la peur du néant.
- En n’hésitant pas à profiter de cette période difficile pour faire du business sans aucune empathie pour ceux qui sont touchés.
En réalité, ce que nous apprend l'impermanence c’est qu’elle est une chance et non pas une fatalité. En effet, c'est parce que le changement existe que l'on peut se libérer de la souffrance et devenir meilleur. C’est l’un des défis qui nous est proposé au terme de cette pandémie. C’est-à-dire, poursuivre notre évolution à titre individuel et collectif.
Interdépendance et réciprocité
Cette épidémie de covid-19 met en lumière le meilleur et le pire de l’être humain :
- Le meilleur, à travers les élans de solidarité, d’unité, de patriotisme, d’engagement, de bienveillance, de dévouement, voire de sacrifice de nos personnels de santé.
- Le pire, à travers l’égoïsme et l’irrespect de certains ou encore les actes de panique, de délation, les fausses rumeurs et les polémiques stériles.
La situation actuelle nous rappelle à un autre concept clé du bouddhisme, l’interdépendance. Le fait que toutes les choses ou phénomènes de ce monde sont liés entre eux et donc interdépendants. Il n'existe rien en ce monde qui soit indépendant de tout le reste, qui n'ait aucune cause, ou qui ne provoque aucune conséquence.
A une époque où l’individualisme et la compétition sont prônés dès l’éducation des jeunes enfants, le virus nous envoie un message clair : la seule manière de nous sortir de cette situation c’est la réciprocité, la solidarité et le sens de l’appartenance à une communauté (famille, patrie, humanité). Sentir faire partie de quelque chose de plus grand que soi, dont il faut prendre soin et qui en retour, peut prendre soin de nous.
Les enseignements
Il y aura évidemment un avant et un après cette épidémie. Ce virus modifie notre rapport au travail, à l’écologie, à l’économie, à la politique, à la santé, …
Les enseignements à tirer de cette période sont nombreux :
- Sur le plan du travail : la réduction du nombre de réunions, l’augmentation du télétravail, l’accroissement du degré d’autonomie des collaborateurs, la transmission de confiance et de valeurs dans les actes opérationnels, la création de nouveaux modes de collaboration, la promotion d’une culture interne forte donnant du sens au travail et prenant en compte l’individu dans sa globalité, la nécessité d’un management « positif » qui mobilise et fédère.
- Sur le plan écologique : nous avons la preuve que l’homme peut agir sur l’environnement. En Chine, la baisse de l’activité humaine pendant les deux premières semaines de confinement a diminué d’un quart les émissions de CO2. Plus proche de nous, la qualité de l’air en Ile de France n’a jamais été aussi bonne depuis 40 ans après seulement 10 jours de confinement.
- Sur le plan économique : la remise en cause d’une certaine forme de mondialisation sur fond de délocalisation de la fabrication des masques de production ou de certains médicaments par exemple, qui conduisent à des ruptures de stock. Notre capacité à imposer des circuits courts de distribution : en témoigne la décision des pouvoirs publiques français de contraindre la grande distribution à s’approvisionner en fruits et légumes exclusivement auprès des producteurs français.
- Sur le plan politique : le déficit d’alignement, de coordination et de synergie entre pays, notamment au sein de l’Europe, a été l’une des causes majeures d’hésitations et de retards dans les prises de décision. Cette crise a également réactivé le sentiment de nation ; En effet, beaucoup d’entre nous ont ressenti l’envie, voire le besoin de « faire bloc » entre citoyens et autour de nos dirigeants afin d’être constructifs et d’avancer ensemble vers un avenir meilleur.
- Sur le plan sanitaire : les connaissances acquises dans le cadre de la gestion de cette pandémie seront précieuses afin de réduire l’impact des épidémies à venir. On peut aussi espérer qu’enfin les personnels de santé soient mieux reconnus et valorisés par l’état.
Ce petit virus de quelques dizaines de nanomètres va entraîner des décès, des naissances, des rencontres, des séparations, des retrouvailles, des faillites, des créations, des drames, des avancées, des retours en arrière, des réflexions, des interrogations, des décisions, …
Certains chercheront des responsables à cette crise. En réalité, nous sommes tous responsables ; Car nous nous sommes crus au-dessus : des autres, de l’eau, de l’air, de la terre, de la nature, des animaux, du bon sens, de l’éthique, …Et même des virus.
C’est à l’humanité toute entière, donc à chacun d’entre nous, d’en tirer les leçons.