S’il est bien un mot qui résume la situation dans laquelle l’espèce humaine se trouve en ce début du XXIe siècle, c’est l’incertitude. Bien sûr la crise sanitaire est passée par là pour nous faire prendre conscience de notre instabilité dans de nombreux domaines : sanitaire, écologique, climatique, politique, sociétal, économique, …
La seule chose dont nous pouvons être certains c’est que nous devons désormais apprendre à naviguer dans un océan d’incertitude !
L’incertitude : le point de vue mathématique
En sciences, en métrologie (physique, chimie, biologie médicale, électronique…), l'incertitude désigne, d'après Vold, la marge d'« imprécision » sur la valeur de la mesure d'une grandeur physique. Cette dispersion des valeurs peut être attribuée à la grandeur mesurée qui provient soit d’une erreur de mesure aléatoire, soit d’une erreur systématique. Dans le monde cartésien, on intègre et on accepte donc à priori la notion d’erreur. D’une certaine manière, on peut considérer comme normale l’incertitude qui accompagne une mesure.
L’incertitude : le point de vue philosophique
Chez les hommes, l’incertitude, c’est-à-dire l’indétermination de l’avenir, est presque universellement vécue comme un problème majeur. Qu’ils soient philosophes, scientifiques, hommes d’affaires ou politiques, la principale préoccupation des hommes est de réduire autant que faire se peut la marge d’incertitude. C’est d’ailleurs précisément l’évaluation de cette capacité qui nous conduit à les reconnaitre et à leur confier du pouvoir. Selon le mot fameux de René Descartes dans son Discours de la méthode, ils essaient de se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ».
A l’opposé, pour Nietzsche, ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou. Ce n'est pas l'hésitation, l'incertitude, l'indécision, qui conduit à la folie, c'est de trop savoir ou de trop croire qu'on sait, d'être sûr de savoir au point de ne plus douter du tout.
L’incertitude : le point de vue humaniste
Tout dans notre éducation, qu’elle soit scolaire ou religieuse, tente de nos inculquer le besoin de certitudes. L’enfant est beaucoup plus à l’aise avec l’incertitude et le changement car il vit davantage que l’adulte dans l’instant présent. Heureusement la connaissance est sensée nous protéger du chaos. La maîtrise de tous les savoirs nous rassure, voire même de ce qu’il adviendra après notre mort. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous, y compris parmi les plus grands de ce monde, consultent des prédicteurs de tous poils afin de dégager l’horizon et prévoir l’imprévisible.
Nous l’avons bien compris à l’occasion de la crise sanitaire, aucun scientifique n’a été en mesure de prévoir, d’expliquer et encore moins de résoudre la pandémie. L’arrivée de ce virus nous rappelle que l’incertitude reste un élément indissociable de la condition humaine. Cette crise nous rappelle que la science est une réalité humaine qui, comme la démocratie, repose sur les débats d’idées et que les théories scientifiques ne sont pas absolues, comme les dogmes des religions, elles ne détiennent aucune vérité.
Les sources de l’incertitude sont multiples :
- La contradiction entre nos attentes et les signaux que nous donne la réalité peut générer une inquiétude grandissante
- L’opposition entre la conduite et les valeurs : quand nous réalisons des actes avec lesquels nous ne sommes pas en accord, notre incertitude augmente et crée de l’anxiété
- L’injustice sociale peut conduire certains vers des idéologies extrêmes qui promettent moins d’injustices et plus de certitudes.
L’incertitude nous amène également à réfléchir sur la notion de risque : c’est une manière de décider de quelles incertitudes il faut se soucier le plus. On peut y ajouter la notion de rapport « bénéfice-risque », fréquemment utilisé en médecine, par exemple au moment de prescrire un traitement. Si le bénéfice attendu est supérieur aux risques encourus alors l’incertitude devient acceptable.
Consentir à vivre malgré l’incertitude, dans notre zone d’inconfort, c’est sans doute la seule issue possible à l’évolution de l’homme. D’ailleurs, connait-on des personnes qui ont fait de grandes choses en restant installées dans leurs certitudes ?
Finalement la maîtrise de l’incertitude n’est-elle pas un miroir aux alouettes que nous promettent certains qui souhaitent détenir le pouvoir ? Ce piège se referme aujourd’hui sur tous ceux qui ont cru pouvoir vivre sans crainte, en sécurité et en délégant leur pouvoir à d’autres qui n’en sont pas toujours dignes.
Mon témoignage personnel
Au-delà des poncifs habituels qui me font dire, comme tout un chacun, que je me sens plus confortable avec un minimum d’incertitude. La question à laquelle il convient de répondre afin de déterminer notre rapport à l’incertitude est à mon sens la suivante : « quelle a été tout au long de mon parcours de vie mon inclinaison majoritaire entre un niveau d’incertitude réduit au maximum et une prise de risque élevée ? ».
En ce qui me concerne, j’ai le sentiment d’avoir très souvent franchi la ligne du côté de l’incertitude. Est-ce une question de tempérament, d’opportunisme, de confiance, d’inconscience, … Probablement un mélange de tout cela. Mais sans doute est-ce d’abord la volonté ou le besoin de faire passer l’émotion devant la raison. Préférer le mouvement à l’attentisme, l’erreur à l’absence de choix, la remise en question à la suffisance, le nouveau départ à la course de trop. Evidement ce choix n’est pas toujours conscient puisqu’il s’agit d’émotion. Il n’est pas non plus toujours rationnel aux yeux des autres ce qui peut d’ailleurs déranger.
Quitter un grand groupe pharmaceutique international avec une carrière toute tracée juste avant 40 ans, repartir de zéro dans le métier de consultant en management, publier deux livres et de nombreux articles, créer une méthode de formation au management, fédérer un réseau de consultant autour de cette méthode, animer des conférences, … Tous ces projets professionnels et c’est également vrai sur le plan personnel, m’ont appris à voguer dans un océan d’incertitude. Même si rien n’a été facile, je suis toujours parvenu à flotter, parfois même à m’envoler et j’ai bien l’intention de poursuivre dans cette voie.
Si l’on considère comme moi que la finalité d’un individu est son évolution, physique, intellectuelle et spirituelle, cela amènera chacun le moment voulu à faire son bilan afin de déterminer si le contrat est rempli ; C’est-à-dire si la dose d’incertitude et de prise de risque a été suffisante et surtout productive. J’ai le sentiment que le simple fait de se poser la question apporte déjà une partie de la réponse.
Vous l’aurez compris, notre rapport à l’incertitude est un élément important dans notre capacité à libérer le positif qui est en nous.
o Acceptez l’incertitude qui désormais fait partie de notre environnement
o Essayez d’évaluer votre rapport bénéfice risque
o Identifiez les sources de votre incertitude
o Définissez un niveau d’incertitude acceptable pour vous
o N’oubliez pas que l’incertitude est un facteur majeur d’évolution.